La conquête de la péninsule ibérique par les Arabo-berbères (711-714)
Bonjour à tous ! A l’occasion du 1300e anniversaire du débarquement des Arabo-berbères en Espagne (date précise inconnue : fin avril, peut-être début mai), je vous propose un article sur la conquête du royaume wisigothique et les raisons du succès musulman. Bonne lecture !
Convoi arabe représenté dans le Maqamat d’al-Hariri (XIe).
A partir de la mort de Mahomet en 632, les musulmans se lancent dans une phase de conquête vers l’Empire byzantin, l’Empire perse sassanide et l’Afrique du Nord. Tandis que l’Empire perse s’effondre suite à la défaite de Nehavend (642), l’Empire byzantin résiste difficilement, sa capitale Constantinople étant même assiégée à deux reprises (668-673 et 717-718).
En Afrique du Nord, la conquête est plus facile. Les Arabes fondent Kairouan en 670, prennent définitivement Carthage en 698 (la cité est rasée de peur que les Byzantins ne la réoccupent) et finissent par mettre un terme à la résistance des Berbères emmenés par une femme, Kahina. En 705, le gouverneur de Kairouan, Mûsâ ibn Nusayr est envoyé par le calife Walîd Ier en Ifrîqiya (transposition arabe de l’Africa byzantine) pour organiser le territoire nouvellement conquis. Sous son gouvernement est organisée la conquête de l’Espagne (Hispaniae) wisigothique.
I. La crise du royaume wisigothique
La facilité de la conquête par les musulmans (faibles effectifs et rapidité de la soumission des trois quart de la péninsule) a étonné certains historiens au point que certains d’entre eux (essentiellement des Espagnols : Ignacio Olaguë, Joaquin Vallvé) ont affirmé que les Arabes n’ont jamais envahi en Espagne ! Leurs principaux arguments : le manque de sources sur cette époque, la faiblesse numérique des conquérants et une comparaison quelque peu anachronique avec les Romains du IIe siècle av. J.-C. et l’enlisement de Napoléon au début du XIXe. Mais qui a alors affronté Eudes à Toulouse (721) Charles Martel à Poitiers (732) puis à Sigean (737) ? Et comment expliquer l’islamisation rapide de la péninsule ?
En réalité, les conquérants ont trouvé une situation très favorable. La monarchie de Tolède traverse au début du VIIIe siècle une crise profonde.
« Les grandes invasions ont toujours coïncidé avec une décomposition politique et sociale des nations sur lesquelles elles ont déferlé. [La tâche des Arabes] s’est trouvée singulièrement aplanie par la carence tragique de la monarchie wisigothique et la timidité des réactions de l’ensemble de la population du pays » (Evariste Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, t.1).
● Une crise politique
Rois wisigoths ; de gauche à droite : Chindaswinth (642-653), Receswinth (653-672) et Egica (687-700) représentés dans le Codex Vigilanus (976).
Le roi goth était à l’origine élu par ses pairs et considéré comme le premier des aristocrates (primus inter pares). Avec la conversion de Récarède au catholicisme en 587, la nature du pouvoir royal change : c’est une théocratie qui naît. A la fin du VIIe siècle, le roi s’aliène les aristocrates : en 687, le roi Egica annonce qu’aucun homme ne pourra être sujet d’un aristocrate (uniquement sujet du roi). Jusque-là, la monarchie de Tolède était élective, or, en 693, ce même roi associe son fils Witiza au trône contre les règles de transmission du pouvoir. Witiza accède au pouvoir sans se faire acclamer par l’aristocratie. Lorsqu’en 710 Witiza meurt, une crise politique grave éclate : le duc de Bétique, Rodéric, se fait acclamer par les aristocrates et prend le titre de roi. Mais le fils de Witiza, Agila, a été désigné roi par son père, et se trouve être donc le roi « légitime ». Lors de l’invasion musulmane, il y a donc deux rois en Hispaniae, tous deux avec leurs partisans : Rodéric et Agila.
● Une crise sociale : Juifs et esclaves
Dans la seconde moitié du VIIe siècle, la législation anti-juive qui se renforce et qui va causer la perte des Wisigoths. Les Juifs se voient progressivement interdits d’épouser une chrétienne, de posséder des esclaves ou domestiques non-juifs, d’exercer des charges publiques et de fréquenter les convertis catholiques. En 681, Ervige prend la décision de rendre le baptême des Juifs obligatoire dans un délai d’un an, sous peine d’un exil perpétuel et de la confiscation de leurs biens. En 694, Egica annonce la réduction à la condition d’esclaves de tous les Juifs et décrète la confiscation de leurs biens. Mais en 711, il reste encore de nombreux Juifs qui ont tout intérêt à un changement de pouvoir.
Enfin, la condition des esclaves se détériore fortement à la fin du VIIe siècle avec les difficultés économiques et lorsqu’Ervige autorise les maîtres à leur infliger la mort ou des mutilations. Cette législation entraîne de nombreuses fuites d’esclaves qui contraignent les souverains wisigoths à prendre de sévères mesures pour les rattraper : obligation pour la population de dénoncer les esclaves en fuite sous peine de se voir infliger 200 à 300 coups de fouet. Les esclaves soutiendront les envahisseurs musulmans.
II. L’invasion de l’Hispaniae
Rocher de Gibraltar.
● A la veille de la conquête
Arrivés sur la façade atlantique de l’Afrique du Nord, les Arabes auraient très bien pu se tourner vers le Sud, l’Afrique centrale, en traversant des paysages désertiques qui leur sont familiers. Pourtant, ils préfèrent traverser un obstacle inédit : un bras de mer.
Ici intervient un dénommé comte Julien (Yûlyan dans les sources arabes), gouverneur chrétien wisigoth ou byzantin soumis théoriquement au roi wisigoth, qui est gouverneur de Ceuta et d’autres villes des deux côtés du détroit. Fâché avec Rodéric (sa fille de Julien aurait été violée par le roi), il décide de mettre ses navires à disposition des Arabes. En juillet 710, un corps expéditionnaire arabe traverse une première fois le détroit pour mener une razzia victorieuse. Le succès de l’opération encourage l’idée de conquête.
● Du débarquement à la bataille du rio Guadalete (19 juillet 711)
Tariq ibn Ziyâd.
L’année suivante, vers la fin du mois d’avril, Tariq (un affranchi berbère aux ordres du gouverneur Mûsâ ibn Nusayr) traverse le détroit de Gibraltar, auquel il a donné son nom (Djabal al Tariq), avec 7000 Berbères fraichement islamisés. Le moment est propice : Rodéric est occupé au Nord de royaume, dans la région de Pampelune, à mater une révolte des Vascons.
Tariq s’assure de la maître de Carteia, ville près de la pointe sud du détroit. Il organise ensuite une base à l’Ouest pour s’assurer un site protégé en cas de retraite. Le comte Julien reçoit la mission de garder ce point d’appui.
La nouvelle du débarquement finit par arriver auprès de Rodéric. Laissant les Vascons, il se dirige à toute vitesse vers le Sud, à Cordoue où il rassemble les troupes régulières dont il peut disposer. Tariq reçoit alors le renfort de 5000 autres Berbères venus d’Afrique, ce qui porte son armée à 12.000 hommes, quasiment que des fantassins. Il voit aussi se joindre à lui une foule de mécontents (esclaves et juifs) qui renforcent ses troupes mais nous n’avons aucun chiffre. La rencontre entre les deux armées a lieu le 19 juillet 711, sur les rives du rio Guadalete.
Selon les auteurs arabes, les deux ailes de l’armée wisigothique auraient fait défection dès le début de la bataille, car commandées par des partisans d’Agila (l’autre roi wisigoth). Rodéric, au centre, tente de tenir mais se voit contraint de reculer face à la pression arabe. La victoire arabe est décisive : il n’y aura pas d’autre grande bataille (selon certaines sources, Rodéric aurait trouvé la mort dans l’affrontement).
Le vainqueur prend rapidement les premières villes, qui tombent sans grande résistance. Les Juifs du Sud, trop heureux d’être débarrassés des tyrans wisigoths, gardent eux-mêmes militairement les villes nouvellement prises pour permettre aux Arabo-berbères d’avancer vers le Nord.
● La conquête de l’Hispaniae
Cordoue tombe en octobre 711 face à 700 cavaliers musulmans. Tolède n’offre aucune résistance, une partie de la population ayant suivi Sindered, primat de l’Eglise d’Espagne, dans sa fuite. La capitale wisigothique tombe à la fin de l’année 711.
En 712, Mûsâ ibn Nusayr rassemble 17.000 hommes sur le littoral nord-africain, presque tous Arabes cette fois, qu’il fait passer de l’autre côté de la mer. Dirigée par lui-même (et non Tariq), cette armée prend Medina-Sidonia et deux places fortes près de Séville. La ville de Séville n’offre elle aussi qu’une mince résistance. En revanche, la ville suivante, Mérida, se défend plus ardemment : elle ne se rend que le 30 juin 713. Mûsâ enlève quelques autres villes avant de se rendre à Tolède où il se comporte en véritable souverain, faisant battre monnaie (avec la formule islamique de l’unicité divine en latin, accompagnée de la date de l’Hégire, à destination des autochtones Hispano-Romains). Il y passe tout l’hiver 713-714.
C’est alors que des messagers venus de Damas rencontrent Tariq et Mûsâ à Tolède pour leur demander des comptes sur les opérations. Au printemps, 714, Mûsâ ibn Nusayr fait tomber Saragosse et tout le bassin de l’Ebre. Après la chute de la cité, il souhaite passer les Pyrénées pour continuer les opérations en Narbonnaise mais un autre messager le contraint à quitter la péninsule. Avec Tariq, il doit rendre compte des résultats devant le calife de Damas. Les deux conquérants sont maltraités à leur arrivée dans la capitale califale, accusés d’avoir confisqué des biens. Mûsâ finit probablement sa vie en prison et meurt en 716-717. Quant à Tariq, on perd sa trace, il est parti dans d’obscures expéditions en Orient…
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Al-Andalus, de la conquête au califat (711-1031)
Sources :
GUICHARD, Pierre. Al-Andalus, 711-1492. Hachette Littératures, 2001.
LÉVI-PROVENÇAL, Evariste. Histoire de l’Espagne musulmane. Tome 1 : la conquête et l’émirat hispano-umaiyade. Maisonneuve & Larose, 1950.
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