Cordoue, la cité des sciences
- Vue de Cordoue depuis le Pont Romain, avec en arrière-plan la Grande Mosquée
Cordoue (Qurtubah en arabe) est une ville du sud de l’Espagne, située en Andalousie, au pied de la Sierra Morena. Elle est traversée par le Guadalquivir (Al-Wâdî Al-Kabîr en arabe), qui constitue la plus grande voie de navigation du sud de l’Espagne. La ville est une ancienne cité ibérique, conquise en 206 av. J.-C. par les Romains, qui en firent la capitale de la province d’Hispania Ulterior (Hispanie ultérieure) à partir de 169 av. J.-C..
La ville se développa sous le consul Marcus Claudius Marcellus, qui y fit construire des édifices et des remparts caractéristiques de l’architecture militaire romaine. De grandes familles romaines vinrent s’y installer, contribuant à accroître sa notoriété.
En 45 av. J.-C., après la bataille de Munda qui opposa Jules César aux partisans de la République romaine, la ville fut conquise par les armées de César, et rattachée à l’Empire. L’Hispanie ultérieure fut alors redécoupée, quelques années plus tard, en deux nouvelles provinces impériales : la Bétique et la Lusitanie.
Cordoue, qui se trouvait en Bétique, conserva son statut de capitale de province. Elle constitua l’un des quatre sièges de juridiction de la province, avec Cadix, Séville et Ecija.
Lorsque les Vandales, les Suèves et les Alains envahirent la péninsule ibérique à partir de 409, ils se partagèrent les terres conquises. La Bétique fut du lot des Vandales. Ils s’y établirent et firent de Séville leur nouvelle capitale. Néanmoins, Cordoue leur échappa et resta sous domination byzantine jusqu’en 568, date à laquelle elle fut conquise par le roi wisigoth Léovigild. Bien que celui-ci y créa un évêché, la ville commença à perdre progressivement de son importance au profit de Tolède, qui la surpassa à partir de la fin du VIIème siècle.
En 711, Cordoue ouvrit ses portes aux armées musulmanes menées par Târiq Ibn Ziyâd. La conquête se fit presque sans accroc. Le général musulman avait envoyé son commandant Mughîth Ar-Rûmî à la tête de sept cents cavaliers en direction de la ville. La troupe arriva de nuit et profita de l’obscurité pour escalader les remparts, dont l’armée wisigothe avait négligé la garde, et pénétra dans la ville. Les soldats musulmans surprirent les sentinelles qui gardaient l’entrée méridionale de la ville. Ils en tuèrent un certain nombre et ouvrirent la porte au reste de l’armée.
Après cette conquête, les musulmans firent de Cordoue la capitale de l’Hispanie musulmane, lui faisant retrouver ainsi son lustre d’antan. Les dirigeants de l’Andalousie s’y établirent pendant près de trois siècles, jusqu’à la chute du califat andalous. La population chrétienne y conserva sa liberté religieuse et civique, moyennant un tribut qu’elle payait aux autorités musulmanes, conformément au pacte qui fut signé avec les nouveaux maîtres du pays.
Le gouverneur qui érigea Cordoue au rang de grande métropole fut As-Samh Ibn Mâlik Al-Khawlânî, qui dirigea la province musulmane d’Andalousie à partir de 719. L’une de ses principales réalisations fut la restauration de la muraille romaine entourant Cordoue qui s’était effondrée par certains endroits.
Puis la ville gagna encore en notoriété sous le règne de `Abd Ar-Rahmân Ibn Mu`âwiyah (756 – 788), dit `Abd Ar-Rahmân Ad-Dâkhil (le Pénétrant) ou `Abd Ar-Rahmân Ier, le premier calife omeyyade d’Andalousie. Dès lors, Cordoue devint un foyer de savoir, de culture, d’art et de littérature, rayonnant sur toute l’Europe. Le calife, surnommé l’Aigle de Quraysh, du nom de la tribu mecquoise dont sa famille était originaire, fit venir auprès de lui juristes, savants, philosophes et poètes. Sa capitale se développa ainsi à une vitesse fulgurante, devenant la plus grande ville européenne par sa population.
Sous le règne du calife `Abd Ar-Rahmân An-Nâsir, et de son fils Al-Hakam Al-Mustansir, Cordoue était une des villes les plus prospères du monde, rivalisant avec Bagdad, la capitale des Abbassides, Constantinople, la capitale des Byzantins, et Le Caire, la capitale des Fatimides. Les ambassadeurs de Cordoue étaient envoyés en missions diplomatiques en des pays aussi lointains que l’Inde et la Chine, pour établir des relations de paix et d’amitié avec les souverains de ces pays. De même, dans cette ville qui faisait rêver les peuples d’Europe, se pressaient des émissaires des empereurs byzantins et germaniques, des rois francs et italiens, des souverains berbères, des princes et chefs de tribus africains. Le calife les accueillait, entouré de sa cour constituée de politiciens, de savants et d’hommes de lettres, avec une générosité qui laissait ses hôtes le plus souvent pantois.
L’hispaniste anglais John Brande Trend écrit au sujet de Cordoue : « Au dixième siècle, Cordoue était la ville la plus civilisée d’Europe. Elle suscitait l’émerveillement et l’admiration du monde, à l’instar de Vienne dans les États balkaniques. C’était avec quelque crainte que les voyageurs venant du nord entendaient parler de cette ville qui contenait 70 bibliothèques et 900 bains publics ; lorsque les souverains de León, de Navarre ou de Barcelone nécessitaient les services d’un chirurgien, d’un architecte, d’un tailleur ou d’un musicien, c’était vers Cordoue qu’ils se tournaient. »
Sous le règne d’Al-Hakam Al-Mustansir, dit Al-Hakam II (961 – 976), les sciences et les arts atteignirent un haut degré de raffinement, le calife lui-même étant féru de livres, déboursant des fortunes pour importer en Andalousie les manuscrits les plus rares. Le souverain fit ainsi bâtir la grande bibliothèque de Cordoue, dans laquelle on pouvait consulter jusqu’à quatre cent mille volumes.
L’enseignement connut également sous son règne une grande impulsion : l’apprentissage de la lecture et de l’écriture se diffusa à grande échelle parmi la population ; même les plus pauvres y avaient accès dans des écoles gratuites.
Le calife fonda en outre, au sein de la Grande Mosquée, l’Université de Cordoue, la plus célèbre des universités d’Europe à l’époque. Pour y exercer, il nommait les plus éminents professeurs dans leurs disciplines respectives. Les cercles d’enseignement occupaient plus de la moitié de la superficie de la mosquée. Les enseignants percevaient un salaire leur permettant de se dévouer à leurs élèves et à leurs recherches, tandis que les étudiants recevaient des primes et des bourses d’études pour les plus démunis. Le calife désigna son frère Al-Mundhir au poste de doyen de l’Université, et son autre frère `Abd Al-`Azîz au poste de directeur de la grande bibliothèque.
Cordoue donna ainsi au monde d’illustres savants, à l’instar des grands juristes Yûsuf Ibn `Abd Al-Barr et `Alî Ibn Hazm, du philosophe Muhammad Ibn Rushd (Averroès), du médecin Abû Al-Qâsim Az-Zahrâwî (Abulcasis), du géographe Muhammad Al-Idrîsî, du mathématicien berbère Al-`Abbâs Ibn Firnâs ou de l’exégète Muhammad Al-Qurtubî.
Pour décrire les mérites de la capitale andalouse, le juriste grenadin du XIème siècle `Abd Al-Haqq Ibn `Atiyyah, déclama les vers suivants :
Bi-arba`in fâqat al-amsâra qurtubatun *** Wa hunna qantarat al-wâdî wa jâmi`uhâ
Hâtâni thintâni waz-zahrâ’u thâlithatun *** Wal-`ilmu akbaru shay’in wahwa râbi`uhâ
Cordoue surpassa le monde par quatre éléments : son Pont sur le fleuve [1], ainsi que sa Mosquée.
En voilà deux ! Le troisième est la Zahrâ [2], tandis que le quatrième et plus grand élément est le savoir !
Cordoue conserva ce statut de ville la plus développée d’Andalousie jusqu’à la chute du califat omeyyade en 1013, date à laquelle une révolte berbère éclata et s’acheva par le sac et la destruction de la ville. Dès lors, le lustre de Cordoue commença à vaciller au profit de Séville (Ishbîliyyah en arabe), et ce jusqu’à sa conquête par le roi Ferdinand III de Castille en 1236.
La chute de Cordoue aux mains des chrétiens provoqua tristesse et désolation chez les musulmans, qui virent, impuissants, sa grande mosquée convertie en cathédrale. La population musulmane quitta alors peu à peu la ville, et fut remplacée selon les ordres de Ferdinand III par de nouveaux habitants originaires de Castille, de León, de Catalogne et d’autres provinces de l’Espagne chrétienne.
S’ouvrit alors un nouveau chapitre dans l’histoire de la ville : celle-ci déclina inexorablement sous la domination espagnole, jusqu’à devenir de nos jours une modeste agglomération andalouse.
P.-S.
Sources : Hukam.net, Islamstory.com, Islamweb.net, Spain and Portugal (L’Espagne et le Portugal), article de John Brande Trend, publié dans The Legacy of Islam (L’Héritage de l’islam), ouvrage de Sir Thomas Arnold, disponible en ligne sur le site Archive.org, et Nafh At-Tîb min Ghusn Al-Andalus Ar-Ratîb (Senteurs parfumées de la douce branche d’Andalousie), ouvrage d’Ahmad Al-Maqqarî, publié en France sous le titre d’Analectes sur l’histoire et la littérature des Arabes d’Espagne et disponible en ligne sur le site Archive.org.
Notes
[1] Il s’agit du Pont Romain édifié sur le Guadalquivir.
[2] Il s’agit de Madinat al-Zahra, la cité califale construite dans la banlieue de Cordoue.
A lire aussi...
A découvrir aussi
- La conquête de la péninsule ibérique par les Arabo-berbères (711-714)
- La musique Arabo-Andalouse: La légende de Ziryeb Ibn Nafi'e (789-857)
- Les Omeyyades d’al-Andalus (756-1031)
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 41 autres membres