L'impressionnisme : un mouvement moderne
1.1. Le mot d’un critique
Le terme d’« impressionnisme » vient d’un article du critique d’art Louis Leroy, paru dans le journal quotidien le Charivari en date du 25 avril 1874, et intitulé : « L’exposition des impressionnistes ». Moqueur, Leroy y raconte sa visite dans l’atelier parisien du photographe Nadar, boulevard des Capucines, où une « Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc. » présente pendant un mois plus de cent cinquante œuvres. Le critique s’acharne sur un tableau de Claude Monet, peint en 1872, et intitulé Impression, soleil levant : « Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans… »
Ce surnom encombrant d’« impressionnistes », Monet et ses amis de la Société anonyme vont non seulement l’accepter, mais le reprendre, dès 1877, à l’occasion de nouvelles manifestations qu’ils organisent. Ainsi, au total, huit expositions se succèdent à Paris, de 1874 à 1886 : chacune présente une approche nouvelle de la couleur et de la lumière, à travers une sensibilité de l’instant ; chacune est une étape vers la naissance de l’art moderne.
Le triomphe auprès du public est long à venir. Mais l’impressionnisme est soutenu dès ses débuts par le combat d’une partie de la critique, puis, plus tard, par l’influence de ce courant sur les artistes à l’étranger, dans de nombreux pays (→ l'impressionnisme à l'étranger).
1.2. Peindre l’extérieur et la vie moderne
Dès les années 1830, des artistes ouvrent la porte de leur atelier pour s’en aller peindre à l’extérieur : Théodore Rousseau, Charles François Daubigny, Narcisse Virgile Diaz de la Peña, Jean-François Millet, Jean-Baptiste Camille Corot séjournent à Barbizon, à la lisière de la forêt de Fontainebleau, où ils exécutent des toiles « sur le motif » – c’est-à-dire sans esquisse préalable, devant le « morceau de nature » qu’ils ont choisi.
Avec les paysagistes anglais de la fin du xviiie siècle (en particulier John Constable et William Turner), ces peintres sont, au début des années 1860, les maîtres de jeunes artistes nommés Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir, Frédéric Bazille, Alfred Sisley – qui vont devenir les premiers « impressionnistes ». Cette volonté de peindre en plein air n’est pas d’un phénomène isolé : dans les mêmes années, Eugène Boudin et Johan Barthold Jongkind pratiquent la peinture ou l’aquarelle sur la côte normande, au bord de la mer ; cela conforte Monet dans la voie qu’il emprunte.
Contrairement aux paysagistes classiques, qui peignaient une nature irréelle et idéalisée, les impressionnistes vont s'efforcer de rendre l'éphémère, la vision fugace. Selon l'heure du jour, la saison ou le temps qu’il fait, un même paysage connaît de sensibles variations. Pour fixer sur la toile les rapides sensations visuelles qui se modifient à chaque instant, ces jeunes peintres vont devoir renouveler leur méthode de travail, trouver une technique pour traduire avec sincérité ce qui s'offre à leurs yeux.
Le réalisme de Gustave Courbet, l’attention portée par Édouard Manet à la ville et au monde contemporain sont aussi des éléments essentiels. Pour cette jeune génération, en effet, la peinture ne peut plus se référer à l’idéal glacé du classicisme. Une révolte est amorcée, que ces artistes vont également exprimer en se rebellant contre les institutions artistiques, en créant leurs propres circuits pour se faire connaître.
1.3. Le refus des institutions
En 1855, Gustave Courbet a montré l'exemple : dans son « pavillon du Réalisme », il expose l'Atelier du peintre, où il se met en scène en train de brosser un paysage, entouré d'une assemblée d'amis, de personnalités admirées ou haïes, de figures allégoriques. Ce faisant, Courbet bouscule doublement la tradition : en dédiant à un sujet trivial une toile dont l’immense format est habituellement réservé à la peinture d’histoire ; en s’adressant directement au public, en dehors des expositions officielles organisées par l’État.
Édouard Manet fait également figure de modèle révolutionnaire pour les jeunes peintres. En 1863, le jury du Salon annuel de peinture exclut de l’exposition son Déjeuner sur l'herbe. Puis l’œuvre est admise au Salon des refusés – manifestation autorisée par l’empereur Napoléon III afin de laisser les visiteurs seuls juges des œuvres rejetées par le jury du Salon officiel. C’est là que le jeune Paul Cézanne peut l’admirer, tout comme Renoir, Sisley ou Monet, reconnaissant en Manet le chef de file de la nouvelle école à laquelle ils souhaitent appartenir.
1.4. La formation d’un groupe
Monet, Renoir, Bazille et Sisley vivent une première émancipation. L’école privée qu’ils fréquentent depuis le début des années 1860, tenue par le peintre et professeur à l’École des Beaux-Arts Charles Gleyre, va fermer. Monet, bientôt imité par ses camarades, en profite pour abandonner un apprentissage qui lui paraît décalé avec son idéal artistique. L’hospitalité de Bazillle, le moins impécunieux d’entre eux et qui possède un vaste atelier, leur permet d’affronter cette période difficile tout en continuant de travailler.
Ceux qu’on réunit parfois sous le nom de « groupe des Batignolles » parviennent alors à se rapprocher de Manet, dont ils reçoivent la leçon. Les rencontres ont souvent lieu au café Guerbois, un établissement du quartier de l’actuelle place Clichy, à Paris, fréquenté par des peintres mais aussi des écrivains et des critiques.
Devant l’incompréhension du jury du Salon annuel de peinture, l’appui des écrivains s’avère précieux. Et en particulier celui des écrivains journalistes qui, à l’instar d’Émile Zola, défendent la cause de la nouvelle école. Ami d’enfance de Cézanne, Zola restera perplexe sa vie durant devant la peinture impressionniste. Mais sa conviction est entière : les institutions artistiques doivent être refondées.
Et sa plume est virulente. Comparant le Salon à un « immense ragoût artistique qui nous est servi tous les ans », Zola s’enflamme dans les colonnes du quotidien l’Événement : qu’il s’agisse de Manet ou des autres, il exige « que les artistes qui seront à coup sûr les maîtres de demain ne soient pas les persécutés d’aujourd’hui » (l’Événement, 27-30 avril 1866).
1.5. Le choix de la rupture
Forts de leur entente et de leur volonté commune d’indépendance, ces habitués du café Guerbois imaginent vers 1867 de constituer une association afin d'organiser des expositions et des ventes. Mais les divergences sont encore trop nombreuses pour que le projet aboutisse, le point sensible restant la question du Salon, que Manet, Degas, Renoir, Sisley et Cézanne n’ont pas encore renoncé à investir.
Un assouplissement de son règlement, en 1869, rend un moment l'espoir aux artistes, différant leur projet. Tous les peintres ayant déjà exposé sont en effet admis à participer à l'élection du jury : Edgar Degas, Henri Fantin-Latour, Camille Pissarro, Renoir et Manet peuvent exposer leurs œuvres, mais Sisley, Cézanne et Monet sont refusés.
Pendant la guerre franco-prussienne et la Commune (1870-1871), Pissarro et Monet trouvent refuge à Londres, où ils rencontrent le marchand d’art et galeriste Paul Durand-Ruel (1831-1922) qui s’intéresse à leur peinture.
Les réunions parisiennes ne reprennent qu'en 1872, cette fois-ci à la Nouvelle-Athènes, un café de la rue Pigalle. Cette année-là, Durand-Ruel multiplie ses achats : 30 toiles de Manet, plusieurs de Renoir, Sisley et Monet. Ce soutien arrive à temps, car, en dépit des récents changements politiques, le milieu artistique officiel reste hostile à la nouvelle peinture.
Manet, Pissarro, Cézanne, Renoir, Fantin-Latour, Jongkind et de nombreux autres peintres adressent une pétition au ministre de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts pour réclamer un nouveau Salon des refusés, qu’ils obtiennent. Mais, d'un commun accord, les artistes proches de Manet, à l'exception de Berthe Morisot, choisissent finalement de n’y rien présenter, ayant décidé d'organiser eux-mêmes leurs expositions : ainsi, le 27 décembre 1873, la Société anonyme coopérative des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc. est fondée par Monet, Renoir, Pissarro, Sisley, Morisot, Cézanne et quelques autres. Cette société éphémère rassemble des artistes aux tempéraments très divers, décidés à défendre ensemble des principes esthétiques nouveaux.
Pour en savoir plus, voir l'article les expositions impressionnistes.
2. L'impressionnisme : une technique révolutionnaire
2.1. Thèmes et motifs
Au bord de l'eau
Travaillant volontiers par petits groupes de deux ou trois, les impressionnistes ont une prédilection pour les sites au bord de l'eau, les vues tranquilles de villages et les petites villes de la région parisienne – Louveciennes, Marly, Argenteuil, La Celle-Saint-Cloud, Bougival, Chatou – qui constituent le véritable berceau de leur mouvement.
Quelques sites leur doivent leur renommée, comme la Grenouillère, établissement de bains situé au bord de la Seine, à Bougival, très fréquenté par les Parisiens en fin de semaine. Profitant de la résidence de ses parents à Louveciennes, Renoir, accompagné de Monet, travaille à Bougival pendant tout l'été 1869. Sa guinguette, ses bains et ses canots sur le fleuve constituent autant de prétextes à des toiles scintillantes de couleurs.
À l'opposé des paysagistes classiques, qui réalisent des vues champêtres vides de présence humaine, ou parfois animées de nymphes ou de dieux, les impressionnistes se concentrent sur les frondaisons ombrageant la promenade, les reflets du fleuve, l'activité des nageurs et des canotiers, l'animation de la foule.
Vues urbaines
Familiers de la campagne et des jardins, les artistes n'en négligent pas pour autant les aspects de la vie urbaine. Gustave Caillebotte, Pissarro, Renoir, Monet captent depuis des balcons d'immeubles la vue vertigineuse des boulevards et l'enfilade des façades, l'animation des piétons et des voitures caractéristiques du Paris du Second Empire, rénové par le préfet Georges Eugène Haussmann.
Les spectacles et les plaisirs
Degas préfère l'atmosphère enfiévrée et secrète des coulisses de l'Opéra, les répétitions, le spectacle sur la scène, la masse compacte des instruments de l'orchestre. L'ambiance canaille du café-concert retient aussi son attention, parfois son ironie, tandis que Renoir s’applique à de grands tableaux où résonne la gaieté simple et populaire des bals de Montmartre.
La vie moderne
L’écrivain Louis Edmond Duranty livre en 1876 une première étude d’ensemble sur l’ancien groupe des Batignolles (La Nouvelle Peinture : à propos du groupe d’artistes qui expose dans les galeries Durand-Ruel), qui met l’accent, précisément, sur l’importance de la vie contemporaine dans leur art.
Les tableaux impressionnistes constituent, à leur manière, un hymne au modernisme et un témoignage sur le développement de la France au dernier tiers du xixe siècle.
Monet, qui habite Argenteuil, est un utilisateur assidu de la ligne des Chemins de fer de l'Ouest, dont le terminus est la gare Saint-Lazare. En 1877, il prend des croquis sous sa haute verrière et réalise une série de peintures sur l'arrivée des trains en gare, fixant les épais nuages de vapeur qui diffractent la lumière.
2.2. Touche et composition
La juxtaposition de masses colorées
Ces scènes mouvementées et joyeuses nécessitent une touche légère, rapide, pour être fixées sur la toile. La composition se réduit souvent à un équilibre entre de grandes masses juxtaposées, qui ne sont pas fondues.
La surface du tableau, de près, apparaît chaotique, mais elle trouve son harmonie à distance, donnant l'illusion d'une vue instantanée, d'un motif entrevu. Le traitement se fait flou sur les lointains ; les plans successifs s'étagent et se fondent par des passages lumineux.
L’influence des estampes japonaises
Les estampes japonaises constituent à cet égard un modèle nouveau. En 1856, le graveur Félix Bracquemond, un ami de Manet, découvre un volume d'estampes d'Hokusai, qui passe de main en main parmi les artistes de son entourage. Après l'ouverture, en 1862, de la Porte chinoise, une boutique spécialisée, les estampes circulent encore plus largement à Paris ; à la fin de sa vie, Monet ne possède pas moins de 200 planches d'Utamaro, Hokusai et Hiroshige.
Avec leurs motifs simplifiés, souvent tronqués, leurs plans juxtaposés, ces créations exotiques aident les artistes à dépasser la vision occidentale traditionnelle.
2.3. Le traitement de la lumière
Les impressionnistes s’efforcent d’exprimer la lumière avec le plus de vérité possible.
À partir de 1874, Manet lui-même éclaircit ses toiles, délaisse les noirs profonds pour peindre des ombres colorées. Il passe l'été dans la maison familiale du Petit-Gennevilliers, non loin d'Argenteuil où réside Monet, avec qui il peint les mêmes sujets et qu’il représente sur son bateau-atelier.
Quelques kilomètres en aval, Sisley prend possession des rives herbeuses du fleuve, s'attachant à traduire les mouvements des barques, le passage du vent dans les arbres, les reflets changeants du ciel sur l'eau.
Les saisons
L’été, dont la vive luminosité engendre des contrastes violents, n’est pas la seule saison retenue par ces artistes, qui s'intéressent également aux teintes assourdies des demi-saisons. Sisley, en particulier, excelle dans les ciels pommelés et la suggestion des feuillages d'automne ; ses gris et ses beiges légers évoquent les délicates harmonies de Corot.
La neige comme un miroir
La neige, enfin, constitue un motif de choix pour tous les impressionnistes. Pour Monet, les rigueurs de l’hiver offrent un spectacle à la fois mélancolique et grandiose, en particulier en 1880 lorsqu’à la suite du dégel, la carapace de glace de la Seine se rompt brusquement. « Nous avons eu ici une débâcle terrible et naturellement j’ai essayé d’en faire quelque chose. », écrit l’artiste dans une lettre, annonçant plusieurs tableaux sur le thème des « Glaçons » qui sont autant de prétextes pour mêler le liquide et le solide, les tons de l’eau et ceux du ciel.
Chez Renoir, pour qui le blanc n'existe pas dans la nature, les champs immaculés sont comme un miroir où se reflète le ciel. Alors, la neige revêt diverses teintes selon le moment de la journée : vertes et jaunes le matin, rouges et jaunes le soir, bleues, parfois roses.
2.4. Couleur pure et contrastes
Les conditions du travail en plein air déterminent une technique particulière. Il s’agit de peindre vite, avec un matériel aisément transportable – et donc réduit. La palette des couleurs employées par les impressionnistes est limitée, et l’application de ces couleurs sur la toile est relativement grossière.
Une pâte épaisse
Au mépris des conventions traditionnelles selon lesquelles le pinceau du peintre ne doit laisser aucune trace, aucune empreinte, Cézanne étend la pâte en épaisseur, Monet ou Renoir la déposent en « virgules » bien grasses.
Cette technique, qu’on explique parfois par l’invention contemporaine des tubes de peintures en métal mou (on conservait jusque-là la peinture fraîche dans des vessies de peau), suscite sur le moment une vive réprobation. Pourtant, les impressionnistes n'utilisent que rarement, çà et là, des teintes pures, sorties du tube.
Mélange optique
Avant tout, ils obtiennent l'intensité colorée de leurs tableaux en jouant sur la juxtaposition des couleurs. Deux teintes complémentaires placées côte à côte se renforçant, ils n'hésitent pas à rapprocher un rouge d'un vert, un jaune d'un violet, un bleu d'un orangé.
Les peintres connaissent le livre publié en 1839 par le chimiste Eugène Chevreul, qui faisait état de toutes les transformations subies par les couleurs selon leur voisinage. Pour éviter de salir leurs tonalités par des mélanges, ils préfèrent juxtaposer des teintes de nuances opposées, laissant l'œil recomposer à distance la combinaison. Ce phénomène est alors connu sous le nom de « mélange optique ».
3. L'histoire de l'impressionnisme
3.1. Les temps difficiles
Le rôle de Durand-Ruel
Les premières années de l’histoire de l’impressionnisme sont marquées par de très grandes difficultés. Économiques surtout ; car à l’exception de Degas, qui d’ailleurs est issu de la grande bourgeoisie, les peintres de la Société anonyme vendent très mal leurs œuvres. Il faut le courage et la ténacité du marchand d’art Durand-Ruel, qui prend de gros risques, pour constituer le réseau des premiers clients – parfois guère plus riches que les artistes – et réguler les cotes.
Premiers acheteurs
En s’éloignant du Salon officiel, les impressionnistes se coupent du circuit ordinaire des commandes. Or la vente d’un tableau à un collectionneur privé ne garantit pas à l’auteur une publicité comparable à celle d’un achat par l’État. De surcroît, un revers de fortune peut provoquer une catastrophe. C’est ce qui arrive lorsqu’Ernest Hoschedé (1837-1891), important négociant de tissu, est déclaré en faillite. En 1878, plus de cinquante tableaux impressionnistes lui appartenant sont mis en vente aux enchères, et l’effondrement des cours s’ensuit : « La vente Hoschedé m’a tué », résume Pissarro.
Mais la vente aux particuliers peut aussi asseoir les carrières, lorsque ces particuliers possèdent une « surface sociale », une visibilité importante. C’est le cas notamment du chanteur Jean-Baptiste Faure (1830-1915), propriétaire à un certain moment de pas moins de 67 Manet et 63 Monet, ou de Georges Charpentier (1846-1905), éditeur de Zola et de Guy de Maupassant, qui reçoit chez lui des hommes politiques, et dont les murs sont couverts de tableaux de Monet et, surtout, de Renoir.
3.2. Vers la reconnaissance
Des railleries au soutien
La critique elle aussi joue un rôle, à condition de porter son attention sur cette nouvelle peinture. Le pire ennemi des artistes est le silence : tout lui est préférable, et même les railleries et les moqueries, qui, au moins, attirent l’attention.
De fait, celles-ci sont prodiguées assez largement aux impressionnistes. Puis à partir des années 1880, un progrès est sensible. L’exemple des initiateurs commence à porter : après Zola, c’est Duranty ou Philippe Burty qui prennent la relève, puis Théodore Duret et, surtout, le romancier Joris-Karl Huysmans, dont les textes ciselés sont repris dans l’Art moderne (1883) puis dans Certains (1889).
L’éclosion du néo-impressionnisme
Dans les années 1880, Paul Gauguin rejoint Pissarro à Rouen. Doyen des impressionnistes, ce dernier est le plus ouvert aux innovations de ses confrères et apporte son soutien à Cézanne comme à Gauguin ; les jeunes peintres apprécient son affabilité et sa disponibilité légendaires. C'est vers lui que se tourne aussi Paul Signac en 1885.
Fervent admirateur des impressionnistes, et de Monet en particulier, Signac en adopte les touches fragmentées et les couleurs pures. Sa rencontre avec Georges Seurat marque les prémices d'un nouveau mouvement pictural, le néo-impressionnisme, dans lequel la touche morcelée des impressionnistes laisse place à de minces tirets, parfois à des points – d'où le nom de « pointillisme » bientôt donné à cette technique.
Dès 1885, Pissarro adopte le procédé dans ses toiles. Il peut ainsi retrouver une vigueur nouvelle dans ses compositions, que la touche floue et allusive de l'impressionnisme avait eu tendance à dissoudre. Signac s'engage à son tour dans cette voie, que Gauguin, lui, refuse de suivre.
3.3. Succès… et fin du mouvement impressionniste
Après de longues années de lutte, les impressionnistes commencent à connaître une certaine renommée, que Durand-Ruel tente d'élargir outre-Atlantique. Quelques semaines avant l'exposition de 1886, le marchand s'embarque à destination de New York avec plus de 300 toiles de ses peintres, bien décidé à ouvrir le Nouveau Monde à l'art moderne.
L'année 1886, avec la dernière exposition du groupe et l'avènement du néo-impressionnisme, marque la fin de l'aventure impressionniste.
Retour aux individualités
Certains artistes, comme Sisley ou Jean-Baptiste Armand Guillaumin, resteront fidèles à cette esthétique. D'autres, comme Monet, avec sa série des Cathédrales et celle de ses Nymphéas, la dépasseront. Ces toiles, où la lumière et la couleur deviennent le véritable sujet du tableau, le conduiront aux portes de l'abstraction.
Cézanne, pour qui l'impressionnisme ne fut qu'une brève aventure, poursuit ses recherches dans le Midi. À la touche fractionnée de l'impressionnisme il oppose une construction rigoureuse de la forme par la couleur, ouvrant la voie au cubisme.
Grand admirateur du maître d'Aix, Gauguin se tourne vers un art simplifié, traitant la forme en grandes masses colorées, cherchant à réaliser une synthèse entre le dessin et la couleur. Ses premières recherches, menées en Bretagne, le mèneront bientôt à Tahiti.
Un tournant de l’art moderne
En moins de vingt ans, la peinture a réalisé l'une des révolutions les plus importantes de son histoire. Né sous le signe de Manet, l'impressionnisme annonce déjà, à la fin des années 1880, les grandes mutations du siècle suivant. En laissant l'artiste donner libre cours à l'interprétation de ses impressions et de son expérience intime, il transforme la peinture en un langage émotionnel contrôlé, soutenu par une théorie de la couleur et de la lumière.
À partir de 1890, la cote des Impressionnistes commence à grimper et son ascension ne s'arrêtera plus, témoignant de l'engouement constant des collectionneurs et du public des musées pour leurs toiles aux tonalités tantôt vives et gaies, tantôt douces et mélancoliques, qui fixent tout un monde de sensations et de visions éphémères.
L'influence des trouvailles impressionnistes (mélange optique, valeurs claires, vibration de la lumière artificielle ou solaire, souci non plus de la densité, mais de la légèreté des choses) servira de point de départ à des maîtres de génie comme Toulouse-Lautrec, Van Gogh et plus tard Bonnard.
3.4. Quelques pages critiques
« Disons pourtant que, s’il plaît à ces messieurs de se servir de la brosse par le manche, au lieu de la retourner à l’endroit, personne n’a rien à y voir ; mais alors c’est à la condition de justifier ce mode de réalisation, et de prouver qu’on peint mieux avec un couteau à palette qu’avec les crins d’un pinceau. Cela pourra venir ; pour le moment ce n’est pas encore venu. »
(Marc de Montifaud, « Exposition du Boulevard des Capucines », l’Artiste, 1er mai 1874).
- « Il est vrai qu’il est déjà honorable de déblayer le chemin pour l’avenir, pour peu qu’on soit tombé sur la bonne voie. Aussi rien de plus caractéristique que l’influence des peintres impressionnistes – refusés chaque année par le jury – lorsqu’elle s’exerce sur les peintres aux procédés adroits qui constituent chaque année l’ornement du Salon… »
(Émile Zola, « Nouvelles artistiques et littéraires », le Messager de l’Europe, juillet 1879).
- « L’impressionnisme n’est guère que la codification de l’ébauche. Nous sommes loin de le proscrire ou du moins de le dédaigner. […] Mais élever l’ébauche à la hauteur d’un système, c’est de la théorie sans portée, si même, le plus souvent, ce n’est pas de l’impuissance et une simple forme de l’escamotage. »
(Henry Trianon, « Sixième exposition de peinture par un groupe d’artistes : 35, boulevard des Capucines », le Constitutionnel, 24 avril 1881).
- « J’ai souvent pensé avec étonnement à la trouée que les impressionnistes et que Flaubert, de Goncourt et Zola ont fait dans l’art. L’école naturaliste a été révélée au public par eux ; l’art a été bouleversé du haut en bas, affranchi du ligotage officiel des Écoles. »
(Joris-Karl Huysmans, « Le salon de 1879 », l’Art moderne, 1883).
- « Depuis des milliers d’années, tous les gens qui se mêlent de peindre empruntent leurs procédés d’éclairage aux vieux maîtres. […] C’est au petit groupe des impressionnistes que revient l’honneur d’avoir balayé tous ces préjugés, culbuté toutes ces conventions. L’École nouvelle proclamait cette vérité scientifique : que la grande lumière décolore les tons, que la silhouette, que la couleur, par exemple, d’une maison ou d’un arbre, peints dans une chambre close, diffèrent absolument de la silhouette et de la couleur de la maison ou de l’arbre, peints sous le ciel même, dans le plein air. »
(Joris-Karl Huysmans, « L’Exposition des indépendants en 1880 », l’Art moderne, 1883
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